Djamal Chaar, Nantes, février 2013.
Djamal Chaar est mort. Il s’est immolé par le feu mercredi 13 février 2013 face à un Pôle Emploi, à Nantes. Deux jours après, un autre chômeur tentait de se donner publiquement la mort à Saint-Ouen et un autre encore quelques jours plus tard dans un Pôle emploi de Bois-Colombes. Déjà, l’été précédent, un homme était mort après s’être immolé à la CAF de Mantes-la Jolie. À l’époque, la ministre des affaires sociales et de la santé, avait « fait part de sa profonde émotion face à cet acte désespéré d’une personne que les difficultés de la vie ont manifestement conduit à un geste tragique». La ministre déléguée chargée de la lutte contre l’exclusion avait ajouté qu’« en première ligne face à ces difficultés sociales, le personnel de la CAF a rempli sa mission avec sérieux et compétence ».
Au lendemain de la mort de Djamal Chaar, le président de la République évoquera avant tout le caractère « exemplaire » du « service public de l’emploi ». Les réactions publiques, comme à chaque fois, qualifient le geste de « drame personnel », on exprime à peu de frais son émotion tout en cherchant à déresponsabiliser l’institution. Une cellule psychologique est créée pour les agents, le sale boulot de gestion de la précarité peut reprendre. Et si quelques voix s’élèvent pour faire du mort une victime, ces discours participent d’un consensus qui recouvre la dimension politique de ce qui a eu lieu.
La veille de son immolation, Djamal Chaar écrit : « J’ai travaillé 720h et la loi, c’est 610h. Et Pôle emploi a refusé mon dossier ». Le ministre du travail et du dialogue social répondra : «Les règles ont été appliquées avec l’humanité qui convient, avec les explications nécessaires, mais il y a parfois des moments où on est dans une telle situation, qu’on ne comprend plus les explications ».
L’humanité qui convient. Quiconque a affaire à Pôle emploi ou à la CAF sait ce dont il s’agit. C’est l’Etat qui remet à un agent le soin de décider des moyens de subsistance d’un autre humain. Ce sont des calculs comptables qui font oublier les vies derrière les chiffres. Ce sont des règles d’indemnisation opaques, arbitraires, rarement explicitées et qui excluent plus de la moitié des chômeurs de l’allocation. C’est le mépris et le soupçon avec lesquels on traite quiconque dépend d’une institution pour ses revenus. C’est transformer les droits sociaux en dettes individuelles et réduire par-là tout horizon, toute capacité à se projeter.
L’humanité qui convient, c’est nous culpabiliser de n’avoir pas d’emploi dans cette société-là et nous forcer à jouer le jeu. C’est une logique qui transpire partout. Elle s’impose aussi à nous dans l’entreprise où chacun est contraint à grand coups de management de s’impliquer personnellement, de se réaliser en tant que capital humain, de faire corps avec son travail aussi indésirable soit-il.
Djamal Chaar a décidé de ne pas faire le grand saut dans le noir en silence. Nous ne pouvons accepter comme un « accident de parcours » l’acte d’un homme qui a décidé de mourir en accusant. S’obliger à parler. Dire que l’institution tue. Dire qu’il ne s’agit pas de « drames personnels ». Et si son geste nous renvoie à nous-mêmes, à nos solitudes et nos découragements, il nous renvoie aussi à la nécessité de s’attaquer à cette violence qui nous est faite. Dans l’entraide et la solidarité, que nous éprouvons par bribes au présent et que nous essayons de construire jour après jour, nous voyons un des moyens pour reprendre, ensemble, prise sur nos vies.
Des collectifs de chômeurs et précaires réunis en coordination.`
CAFCA Ariège, CCPL Lille, Exploités-Énervés Cévennes, CAFards de Montreuil, La C.R.I.S.E à Nancy,
Permanence Précarité CIP-IDF, CNT-UL Chelles & Marne-la-vallée, Réseau Stop Précarité, Recours-Radiations.
Avril, 2013.